Sans en informer le personnel médical et encore moins l'infirmiére qui l'avait soigné, le Barde s'échappa, quoique étant encore gravement blessé, de l'Infirmerie.
Il devait s'en aller, il le devait, pour une journée, juste pour une. Quelqu'un l'attendait, quelque part, mais le Barde ne savait pas encore où le rendez-vous aurait lieu. Il trouverait bien l'endroit idéal à l'instant voulu, son intuition guiderait ses pas.
Il alla, tout d'abord, clopiner sur la Grande Place.
Peu à peu, des images lui revenaient: il se revit dans le corps d'un drôle de barbu qui marchait vers la statue centrale de la place. L'homme était accosté par une jolie blonde et le couple ainsi formé, entra dans le Temple, se susurrant des mots doux à l'oreille.
Alors que ces souvenirs défilaient sous ses yeux, le Barde poussa un soupir mêlant nostalgie à une profonde tristesse. Non, ce n'était pas le bon endroit, il fallait aller autre part.
Le Barde se promena, dès lors, dans les Jardins Impériaux.
Dans sa tête, brouillée par la dépression, il vit la cérémonie d'un chic mariage dont tout le gratin impérial et l'Empereur lui-même étaient invités. Et le marié! Ah! Qu'il était drôle ce petit marié! Nerveux comme pas deux! Il jouait le joyeux avec ses étranges poulpes mais le résultat ne le rendait que plus pathétique aux yeux du monde.
Trop de souvenirs, trop de douleur; non, ce n'était pas le bon endroit, il fallait aller autre part.
Le Barde passa à côté de la Ferme aux Poulpeset, à travers les barriéres en bois, il s'interrogea sur une petite maison dans le parc d'attractions poulpien. Qui pouvait bien habituer là-dedans? Le jardin était horrible, les ronces le recouvraient d'un lugubre tissu noir. Mal entretenu, l'extérieur de la maison noircissait et s'étouffait sous un lierre immense, conquérant. D'ailleurs, cette petit fenêtre, là, ouvrait sur la salle de bains... Comment il le savait? Car il habitait ici.
A nouveau, son coeur se mit à saigner. Il devait partir.
Les pas du Barde le guidérent jusqu'à dans la forêt.
Calme, fraîcheur, solitude, mélancolie, éveil des sens. Au loin, un oiseau s'exprima et son cri fut perçant, macabre, magnifique! Plus le craquement de la neige sous ses pas menait le Barde loin et plus sa sénérité intérieure lui revenait. L'odeur de la forêt endormie comme morte devait apaiser son âme décomposée et ne l'ébranlait pas comme l'odeur moite des lits chauds et humides des malades de l'hopital.
Son instinct le mena dans une clairiére, loin de tout.
Un arbre centenaire protégeait de ses branchages géants de petites fleurs blanches, des perces-neige. Poétique. La neige encore inviolée, ici, scintillait sous les maigres rayons d'un soleil d'Hiver qui ne se pressait pas pour faire éclore les premiérs crocus.
D'un pas hésitant, le barde s'approcha du centre de la clairiére. Il observa l'arbre. Grand, majestueux, immortel, sûr de soi mais toujours aussi frilleux aux premiers souffles de grand froid, toujours surpris de se faire toujours avoir par ce genre de même choses. Lui et le Barde se ressemblaient en fin de compte: subissant, subissant mais jamais se plaignant. Mais là, le grand froid durait plus longtemps que prévu; mais là, le grand froid était plus violent que prévu. Le Barde ne survivrait peut-être pas à cet hiver. Et même si son physique le surporterait, son mental ne saurait pas le faire.
A petits pas, il s'approcha encore un peu plus de l'arbre et finit pas se stopper complétement devant lui. Il leva la tête. Avec toute sa verdure, il devait être superbe; mais sans, il ressemblait à un squelette. Le Barde tenta de se l'imaginer... Il y parvient. Il sentit le souffle chaud des beaux jours lui caresser la peau; il entendit les oiseaux gazouiller; il vit les fleurs éclore; il goûta par la pensée les fruits de la belle saison; il sentit l'herbe verte fraîchement coupée... Ca y était, il avait trouvé le lieu du rendez-vous.
Il regarda autour de lui: par où commencer?... ... ... Pas par là... ... Ni par ici... ... ... Son regard se reposa sur l'arbre... Ca serait ici, à ses racines.
Le barde recula de quelques pas, en s'appliquant à n'écraser aucune fleur et quitta la clairiére: il avait besoin de deux bouts de bois qu'il trouva un peu à l'extérieur du lieu du rendez-vous. A nouveau sous l'arbre, il les lia entre eux avec une ficelle; le second sous le premier, le croisant à sa moitié. Il planta la croix ainsi créée dans la terre, s'assurant qu'elle y était enfoncée assez solidement. Puis, le Barde fit un pas en arriére et colla son menton sur sa poitrine. Il souleva de son cou une chaîne de laquelle pendait deux anneaux, deux alliances. Silencieusement, il les observa. Elle dansaient; lançaient des rayons de lumière à cause des rayons du soleil qui s'y reflétaient; elles étaient toujours ensemble quoiqu'il arrive... Elles! Le Barde les baisa, laissant échapper une larme qui coula lourdement sur sa joue gauche. Péniblement, il se mit à genoux, écrasant, dans une sensation glauque, les sangsues qui lui pompaient le sang mort de ses hématomes. C'était froid mais pas autant que la neige ni la terre gelée qu'il poussait, et grattait avec ses doigts. Heureusement que le liquide chaud et rouge qui coulait de ses ongles les lui réchauffaient un peu. Il fit un trou pas trés grand mais suffisamment profond pour y glisser aisément un bras d'adulte. Dans une derniére enlassade, il y posa délicatement une des deux alliances; celle de sa femme défunte; et referma le trou avec la terre enlevée.
Et ce fut tout, le Barde ne lâchait plus des yeux cette petite tombe improvisée.
Il se mit à neiger mélancoliquement mais, assis sur les genoux, le Barde dormait trop profondément pour s'en rendre compte.
Sujet: Saint Valentin du Souvenir...